CHAPITRE XIV - Les gitans sont mécontents

 

 

 

François et Michel sortirent de la carrière et cherchèrent à repérer l'endroit où ils avaient aperçu la clarté.

« Je crois que c'est plus loin que le camp des gitans, à gauche, dit François. Qu'en penses-tu, Michel?

— Je suis de ton avis, répondit Michel. Si nous y allions maintenant? Nous partons, Claude et Annie. Vous venez? Nous pouvons laisser nos havresacs dans les grottes, nous reviendrons bientôt.

— François, cria Claude, Dagobert a une épine dans la patte. Il boite. Nous resterons avec lui, Annie et moi, pour le soigner. Partez… Mais, pour l'amour de Dieu, prenez garde aux gitans.

— N'aie pas peur, répliqua François. La lande est aussi bien à nous qu'à eux, ils le savent. Nous vous laissons avec Dagobert. Vous n'avez pas besoin que nous vous aidions à le soigner?

— Non, dit Claude. J'y arriverai toute seule, merci. >

Les deux garçons s'éloignèrent, laissant Annie et Claude penchées sur la patte de Dagobert. En poursuivant les lapins, le chien avait pénétré dans un buisson d'ajoncs et une épine s'était enfoncée dans sa patte droite. Le pauvre Dagobert boitait et souffrait beaucoup. Par bonheur, il avait deux infirmières dévouées.

François et Michel partirent d'un bon pas. C'était une vraie journée d'été, beaucoup trop chaude pour avril. Le ciel d'un bleu de myosotis n'avait pas un seul nuage. Les garçons auraient enlevé volontiers leurs pull-overs, mais ne tenaient pas à les porter sur le bras au risque de les perdre. Le campement des bohémiens, en réalité, n'était pas loin. Ils arrivèrent bientôt à l'étrange colline qui rompait la monotonie de la lande. Les roulottes étaient toujours là et plusieurs hommes discutaient avec animation.

« Je parie qu'ils parlent de l'avion de cette nuit, dit Michel. Et je parie que ce sont eux qui ont placé cette lumière ou ce feu pour le guider. Mais pourquoi n'a-t-il pas atterri? »

Ils contournèrent le camp en se dissimulant derrière les ajoncs, car ils ne tenaient pas à être vus. Les chiens, couchés près de leurs maîtres, n'aboyèrent pas. Les garçons se dirigèrent vers l'endroit, un peu à gauche du camp, où, croyaient- ils, la lueur avait brillé.

« Je ne vois rien d'anormal, dit François en s'arrêtant. Je m'attendais à trouver les traces d'un feu.

— Attends… Qu'y a-t-il là-bas, dans ce creux? dit Michel en indiquant une déclivité du terrain. On dirait une autre carrière… comme celle où nous campons, mais plus petite, beaucoup plus petite. Je parie que c'est là que le feu a été allumé! »

Ils se dirigèrent vers la carrière envahie par les buissons et qui, de toute évidence, n'avait pas été exploitée depuis longtemps. Un grand trou s'ouvrait au milieu et quelque chose en sortait. Quoi donc?

Jouant des pieds et des mains à travers les buissons, les garçons descendirent tout au fond pour examiner de près l'objet qui les intriguait.

« C'est une lampe, une lampe très puissante, dit Michel. Comme celles qui guident les avions dans les aérodromes. Je ne m'attendais pas à voir ça ici. Comment les gitans ont-ils pu se la procurer? Et pourquoi font-ils des signaux à un avion qui n'atterrit pas? Quand il tournait en rond, j'ai cru qu'il voulait se poser.

— Les gitans lui ont peut-être fait signe que, pour une raison quelconque, c'était dangereux d'atterrir, dit François. Ou le pilote venait peut- être chercher quelque chose qui n'était pas prêt.

— C'est une énigme, remarqua Michel. Mais, j'en ai bien peur, les gitans mijotent un mauvais coup. Furetons un peu. »

Ils ne trouvèrent rien, si ce n'est un sentier tracé qui conduisait à la lampe. Ils l'examinaient quand un cri retentit derrière eux. Ils se retournèrent et aperçurent un homme au bord de la carrière.

« Que faites-vous ici? » cria-t-il d'une voix dure. D'autres le rejoignirent et tous regardèrent d'un air menaçant François et Michel qui remontaient péniblement. François décida d'être franc.

« Nous sommes venus camper deux ou trois jours dans la lande, dit-il, et, la nuit dernière, nous avons entendu un avion. Nous avons vu aussi une clarté qui semblait le guider; nous sommes venus voir ce que c'était. Vous avez entendu l'avion?

— Peut-être que oui et peut-être que non, dit le gitan le plus proche qui était le père de Mario. Et puis après? Ça n'a rien d'extraordinaire les avions qui survolent la lande.

— Nous avons trouvé cette lampe, dit Michel en la montrant. Vous savez ce que c'est?

— Non, grommela le bohémien. Quelle lampe?

— On ne paie pas pour la regarder, répliqua François Venez y jeter un coup d'œil si vous ignorez son existence. Mais je ne peux pas croire que vous n'ayez pas vu la clarté hier soir. La cachette est bien choisie en tout cas.

— Nous ne savons pas ce que c'est que cette lampe, déclara le vieux aux cheveux gris. Nous venons toujours camper au pied de cette colline. Nous ne nous occupons ni de vous ni de personne, mais ceux qui nous cherchent querelle s'en mordent les doigts. »

Les garçons pensèrent à la disparition des Barthe.

Ils n'étaient pas très rassurés. « Nous partons, ne vous inquiétez pas, dit François. Nous ne camperons pas longtemps dans la lande. Et nous ne nous occuperons plus de vous si cela vous contrarie. »

Mario se glissait derrière les hommes, suivi de Flop, qui marchait sur ses deux pattes de derrière. Le petit gitan tira son père par le bras.

« Ce sont de gentils garçons, dit-il. C'est grâce à eux que notre Pompon a été guéri. »

Il reçut un coup qui l'envoya rouler par terre. Flop retomba sur ses quatre pattes et le lécha pour le consoler.

« Laissez ce gosse, dit François indigné; c'est affreux, d'être si brutal avec un enfant ! »

Mario poussa de tels hurlements que les femmes sortirent des roulottes et arrivèrent en courant. L'une d'elles injuria Castelli qui répondit sur le même ton. Une violente querelle s'engagea entre les membres de la tribu. Une vieille avait relevé le pauvre Mario et lui tapotait la tête avec un linge mouillé.

« Viens, profitons de leur dispute pour filer, dit François à Michel. Ce sont des brutes, tous, excepté le petit Mario; il voulait nous rendre service, le pauvre! »

Les deux garçons s'esquivèrent rapidement, pressés d'être loin de ces hommes et de leurs chiens. Ils étaient très intrigués. Les gitans prétendaient ne rien savoir de cette lampe, mais c'était invraisemblable. Sûrement l'un d'eux l'avait allumée la nuit précédente. Ils regagnèrent leur carrière et racontèrent aux filles ce qui s'était passé.

« Retournons à la ferme, proposa Annie. Il y a ici des choses étranges. Nous serons au beau milieu d'une aventure avant d'avoir eu le temps de dire ouf!

— Nous resterons encore une nuit, déclara François. Je veux voir si cet avion revient. Les gitans ne savent pas où nous campons. Je suis sûr que Mario ne le leur dira pas. Il a eu beaucoup de courage de prendre notre parti contre son père.

— Oh! oui! restons, approuva Claude. Dagobert ne peut pas encore faire une longue marche. J'ai enlevé l'épine, mais il souffre toujours.

— Il est rudement habile à courir sur trois pattes », remarqua Michel en regardant Dagobert qui sautillait, sa patte bandée en l'air.

« Dago a déjà creusé des trous partout, dit François. Il aurait beaucoup aidé les Barthe quand ils exploitaient la carrière. Pauvre Dagobert! Ce soir tu n'es pas très ingambe pour la chasse aux lapins, n'est-ce pas? »

Dagobert vint se faire caresser. Il aimait beaucoup être soigné et cajolé et savait que sa blessure le rendait intéressant.

L'après-midi, la chaleur n'incitait pas à l'activité. François, Michel, Claude et Annie restèrent assis près de la petite source et causèrent tranquillement, les pieds dans l'eau fraîche. Vers le soir, ils allèrent jeter un coup d'œil sur la vieille locomotive à demi cachée dans les ajoncs. Michel déblaya le sable et tous cherchèrent à actionner les leviers et les manettes, mais leurs efforts furent infructueux.

« Faisons le tour du fourré d'ajoncs pour voir si la cheminée est visible de l'autre côté, proposa Michel. Au diable ces épines! Je suis couvert d'égratignures. Dagobert a bien raison de ne pas nous suivre. »

Les buissons étaient si touffus qu'ils furent obligés de les élaguer. Quand ils eurent pratiqué une brèche, ils poussèrent des exclamations.

« Cette cheminée est d'une longueur! Elle est d'un modèle tout à fait ancien.

— Elle est pleine de sable », remarqua Michel qui se mit en devoir de la vider pour examiner l'intérieur.

« Je ne serais pas surprise que nous soyons les seuls au monde à savoir où est cette vieille locomotive, dit Annie. Elle est tellement enfouie sous les ajoncs que le hasard seul peut la faire découvrir.

— Je meurs de faim tout à coup, dit Michel en interrompant son travail. Si nous mangions un morceau?

— Nous avons encore assez de provisions pour ce soir et demain, dit Annie. Puis il faudra aller en chercher ou bien retourner à la ferme.

— Je tiens absolument à passer encore une nuit ici, dit François. Je veux voir si cet avion revient.

— Nous guetterons tous cette fois, dit Claude. Ce sera très amusant. Venez. Allons visiter notre garde-manger. Qu'en penses-tu, Dagobert? »

Dagobert jugea l'idée excellente. Il s'obstinait à courir sur trois pattes, bien qu'il fût tout à fait guéri. Dagobert, tu es un tricheur!